En sanskrit, la langue sacrée de l'Inde, linga signifie signe, marque : ce qui caractérise un être ou une chose - le genre par exemple, qu'il soit masculin, féminin ou neutre. C'est aussi ce qui prouve tant l'existence concrète d'une chose qu'une présence subtile ou transcendante : Shiva, que symbolise le linga, n'est-il pas lui même à la fois visible et omniprésent, au delà de toute perception ? Le linga, c'est surtout, dans la réalité et la conscience indienne - ou plus exactement hindoue -, le signe par excellence, la marque du dieu. [...] Si linga peut, dans les textes shivaïtes, désigner toute image du culte de Shiva, quelle qu'en soit la forme ou la matière, c'est surtout sous la forme d'une pierre dressée telle une colonne au sommet arrondi que cette image du culte est présente dans la cella - le garbhagriha, l'antre matriciel - des temples. Ce linga, en fait, est originellement un phallus dressé dans sa puissance créatrice, réalité que certains aiment à nier car ils refusent l'essentialité humaine et divine du sexe, mais qui est pourtant certaine : les mythes de Shiva l'attestent et les plus anciens linga le montrent visiblement. Ce membre divin est si puissant qu'il faut continuellement l'arroser pour le refroidir, en évitant ainsi aussi bien un jaillissement créateur incontrôlable qu'un flot destructeur. Mais ce phallus dressé a aussi pour sens la montée non pas extérieurement créatrice mais intérieure, sublimée, de la semence : sa rétention ascétique tend non vers la jouissance mais vers le salut. André Padoux, Linga, le signe du dieu, in L'Inde, marges, éditions de l'ENSBA, 2005

Alors que le temps n'existait même pas, les deux grands dieux, Brahma et Vishnou, se disputaient la souveraineté du monde à venir. Soudain apparut alors, dans la nuit cosmique, la traversant totalement, une gigantesque colonne de feu. Les dieux voulurent en découvrir la source, la nature. Brahma, qui est le cygne sacré, s'envola pour en trouver le sommet. Vishnou, qui est aussi le sanglier fouisseur du monde, s'enfonça pour en découvrir la base. Mais aucun des deux ne put trouver ce qu'il cherchait. Le pilier était sans commencement et sans fin et, quand les deux dieux revinrent de leur vaine quête, ils virent au centre de cet axe infini le dieu Shiva resplendissant dans toute sa gloire. Cétait le linga, colonne de feu, flamme cosmique aussi dévorante que créatrice, illuminant l'univers. Totalité divine, le linga de feu était l'auto-révélation du dieu tout-puissant. André Padoux, Linga, le signe du dieu, in L'Inde, marges, éditions de l'ENSBA, 2005

Linga photographiés dans les rues, Népal, 2010.

Linga de pierre, temple de Buddhanilkantha, Népal, 2010. Une vasque de lait suspendue apaise au goutte à goutte la tension désirante (kama) du linga de Shiva.