[ci-dessus] Lewis Carroll, A Long Tale, page du manuscrit original d'Alice au pays des merveilles, 1862

[à droite] La version réécrite et finalement imprimée de ce même passage.


Dans cet extrait du second chapitre des Aventures d'Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll joue sur l'homonymie - et la confusion possible, confusion qu'il va faire proliférer - entre les mots tail (queue) et tale (conte, histoire).

Alors qu'elle dialogue avec une souris, Alice comprend l'un de ces termes au lieu de l'autre. C'est ainsi que l'histoire de souris (mouse's tale) qui lui est alors racontée, prend littéralement la forme, dans son esprit (et du même coup sur la page du livre), d'une queue de souris (mouse's tail) :

"Mine is a long and a sad tale!" said the Mouse, turning to Alice, and sighing.

"It is a long tail, certainly," said Alice, looking down with wonder at the Mouse's tail; "but why do you call it sad?" And she kept on puzzling about it while the Mouse was speaking, so that her idea of the tale was something like this : —


Il existe deux versions du poème qui fait directement suite à ce passage : celle qui figure dans le manuscrit original, et celle, radicalement différente, que l'on retrouve dans la version imprimée. Dans les deux cas, la forme graphique est celle d'une queue de souris, mais le contenu du texte diffère nettement.

En 1989, deux étudiants américains aidés de leur professeur se sont demandés pourquoi Carroll avait finalement substitué la seconde version à la première.

Ils ont découvert que la version imprimée (contrairement à celle manuscrite) était composée en tail rhyme, une structure poétique dans laquelle deux ou trois vers rimés sont suivies d'une coda non rimée, généralement plus courte.

Toutefois, dans le texte de Carroll, les coda sont beaucoup plus longues que les deux vers qui les précèdent. Si l'on applique au poème une mise en page conventionnelle (découpe en strophes et en vers) on s'aperçoit que chacune des quatre strophes prend, à cause de ce dernier vers plus long, l'aspect schématique d'une souris. (Notons aussi que, suivant la rège du tail rhyme, les coda riment entre elles, deux à deux) :

Fury said to a mouse,
That he met in the house,
"Let us both go to law : I will prosecute YOU.

— Come, I'll take no denial;
We must have a trial :
For really this morning I've nothing to do."

Said the mouse to the cur,
"Such a trial, dear Sir,
With no jury or judge, would be wasting our breath."

"I'll be judge, I'll be jury,"
Said cunning old Fury :
"I'll try the whole cause, and condemn you to death."


En écrivant la seconde version, Carroll aura probablement souhaité pousser le procédé à son comble, procédé qui peut se résumer ainsi :

"(1) the word 'tale' signified the story the mouse is telling, but includes the tail visually;
(2) the word 'tail' signified the tail of the mouse but includes the tale it tells;
(3) the tale is told in the poetic form of the tail-rhyme;
and (4) the line structure of the triplets (two short lines, then a longer line) resembles the shape of a mouse."

Jeffey Maiden, Gary Graham and Nancy Fox, “A Tale in a Tail-Rhyme.”, 1989. Jabberwocky 18 (72) : 32–36.



Une transcription des 2 versions du poème :