Oignon

L’oignon c’est pas pareil.
Il n’a pas d’intestins.
L’oignon n’est que lui-même
foncièrement oignonien.
Oignonesque dehors,
oignoniste jusqu’au coeur,
il peut se regarder,
notre oignon, sans frayeur.

Nous : étranges et sauvages
à peine de peau couverts,
enfer tout enfermé,
anatomie ardente,
et l’oignon n’est qu’oignon,
sans serpentins viscères.
Nudité multitude,
toute en et caetera.

Entité souveraine
et chef-d’œuvre fini.
L’un mène toujours à l’autre
le grand au plus petit,
celui-ci au prochain
et puis à l’ultérieur.
C’est une fugue concentrique
L’écho plié en choeur.

L’oignon, ça s’applaudit:
le plus beau ventre sur terre
s’enveloppant lui-même
d’auréoles altières.
En nous : nerfs, graisses et veines
mucus et sécrétions.
On nous a refusé
l’abrutie perfection.

Wislawa Szymborska, L'oignon (Cebula)
in Grand Nombre (Wielka liczba), 1976, traduction Piotr Kaminski



Lecture par Jacques Bonnaffé :



extrait de Jacques Bonnaffé lit la poésie
émission du 1er octobre 2018, France Culture



Léonard de Vinci, Coupes d'un oignon et d'une tête humaine, vers 1490. Encre sur papier.


Autre chose le fascine encore : le caractère sédimenté, pelliculaire ou stratifié, du système de contact formé par l'os du crâne et par tout ce qu'il renferme - la masse du cerveau, bien sûr, mais aussi les tissus, membranes, humeurs ou muscles qui enrobent, protègent, servent d'interfaces ou d'isolants. Alors s'impose une analogie : c'est celle de l'oignon, que Léonard n'hésite pas à dessiner en face d'une de ses coupes anatomiques les plus célèbres. Analogie si peu «sérieuse», dans le contexte d'une investigation hautement «scientifique», que les reproductions du dessin en sont quelquefois recadrées, de façon à faire tomber la trivialité - le côté «cuisine» - de cette mise en rapport. Léonard n'a pourtant pas craint de contresigner son dessin d'un texte parfaitement explicite :

« Si tu fends un oignon en son milieu, tu pourras voir et compter toutes les tuniques ou pelures qui forment des cercles concentriques autour de lui. De même, si tu sectionnes une tête humaine par le milieu, tu fendras d’abord la chevelure, puis l’épiderme, la chair musculaire et le péricrâne, avec, au-dedans, la dure-mère, la pie-mère et le cerveau, enfin de nouveau la pie-mère et la dure-mère, et la rete mirabile ainsi que l’os qui leur sert de base. »

L'oignon n'est pas une boîte. En lui, ce qui contient s'identifie exactement avec ce qui est contenu, selon un paradoxe pelliculaire qui offre, c'est sûr, une image de prédilection pour le géomètre, pour le philosophe et pour l'artiste. Dans l'oignon, en effet, l'écorce est le noyau : plus de hiérarchie possible, désormais, entre le centre et la périphérie. Une solidarité troublante, basée sur le contact - mais aussi sur d'inframinces interstices -, noue l'enveloppe et la chose enveloppée. Le dehors, ici, n'est qu'une mue du dedans. Pensons à ce trait caractéristique de la description donnée par Léonard : l'os, la pie-mère et la dure-mère y sont donnés successivement comme contenants et comme contenus.

Georges Didi-Huberman, Être crâne - Lieu, contact, pensée, sculpture, éd. de Minuit, 2000, p.18-20


« [...] et une fois que j'ai voulu peler un oignon j'ai enlevé la première enveloppe puis la suivante et ainsi de suite jusqu'à ce que je me sois aperçu que j'allais enlever tout et qu'il n'y aurait plus d'oignon puisque un oignon n'est fait [...] que d'enveloppes successives qui n'enveloppent à la fin rien du tout. Ça n'empêche qu'un oignon c'est quelque chose qui existe. Mais de l'éplucher ça n'avance à rien. [...] D'ailleurs on peut dire de toutes choses qu'elles ne sont généralement pas où on les cherche. »

Jean Dubuffet, Lettre à Gaston Chaissac du 28 août 1950
citée en note de bas de page par Georges Didi-Huberman in Être crâne, éd. de Minuit, 2000, p.19



Antony Gormley, Full Bowl, 1977 - 1978
plomb, 6 x 17 x 17 cm


«Full Bowl consists of forty mutually dependent bowls.
Each bowl is beaten inside the previous one : each the
condition out of which the other comes. A total world
made out of discrete parts.» A. Gormley



Antony Gormley, Last tree, 1979
bois de cèdre, 25 x 85 cm