e « montée » (uc-CAR) humaine et cosmique de l'énergie de la parole mantrique dans le corps subtil.
Diagramme des chakras du corps subtil
gouache sur papier, 30.5 x 22.9cm
vers 1820 - Kangra, Himachal Pradesh, Inde



La Kundalini

    Des innombrables « rivières » (nadi) qui irriguent le corps subtil, trois retiennent l'attention : l'une se dresse de la base du tronc à la tête (comme fait la colonne vertébrale), les deux autres s'entrelacent autour d'elle à la façon des deux serpents du caducée. Ces deux-là sont appelées Ida et Pingala ; la première est jaune, diffuse une lumière semblable à celle de la lune et joue le rôle du Gange dans cette géographie symbolique ; la seconde est rouge, brille comme le soleil et équivaut à la Yamuna (moderne Jumna, affluent de rive droite du Gange). Quant à la nadi centrale, elle porte le nom de Susumna ; de couleur blanche, elle a l'éclat du diamant : c'est la Sarasvati (moderne Sutlej, affluent de l'Indus), la rivière du Paradis. Ida et Pingala se croisent six fois sur la Susumna et chacun de ces points de rencontre est appelé chakra (cakra, « roue, cercle »). On verra plus loin qu'il existe un septième chakra, distinct des six autres.
    La fonction d'Ida et de Pingala est de conduire les souffles jusqu'à la base de la « rivière de diamant », où dort un feu à demi éteint. Grâce au yoga, la flamme de ce « Feu-de-la-Base » est avivée et éveille la Kundalini, énergie mystérieuse, semblable à un serpent femelle lové (c'est le sens du mot sanskrit kundalini) à la base du tronc : « Puissance divine, l'Énergie-lovée resplendit pareille à la tige d'un jeune lotus ; telle un serpent, enroulée sur elle-même, elle tient sa queue dans sa bouche et repose, assoupie, dans le Centre-de-la-Base » (Kundalini Upanisad, I.82). Éveillée (ou « réalisée », de virtuelle qu'elle était chez l'homme ordinaire), la « puissance du serpent » se dresse en sifflant et commence de monter dans la Susumna vers le haut de la tête. Chaque fois qu'elle rencontre l'un des chakras elle doit le percer (ou le briser, le trancher, à la façon d'un nœud gordien) et simultanément faire fleurir le lotus en bouton qui se cache en chacun d'eux.
    Ces différents centres sont situés en quelques points importants du corps subtil : dans la région de l'anus est le muladhara (« soutien de la base »), en lequel les trois canaux ont leur origine commune ; le svadhisthana (« fondement de l'individu») est situé près du sexe; le manipura («cité des joyaux»)


correspond au nombril ; l'anahata («[tambour] non battu») est à la latitude du cœur, le visuddha (« purifié ») à la hauteur de la gorge ; l'ajña (« commandement »), enfin, se place à la hauteur du front, là où les trois nadis se croisent pour la dernière fois. Le septième et dernier chakra (brahmarandhra, « ouverture vers le brahman »), pareil à un lotus à mille pétales (sahasrarapadma), occupe la place de la fontanelle au sommet de la tête, ou, selon certains textes, se trouve même au-dessus de la tête, semblable à un oiseau aux ailes déployées, diffusant des rayons.

    L'ouverture des chakras constitue une ascension spirituelle (une sorte de « montée du Carmel ») en six étapes nécessaires, la septième étant en même temps la dernière : celle qui permet d'ouvrir la porte pour libérer l'âme captive. Chaque fois, il y a analogie avec des éléments cosmiques (dans l'ordre : la Terre, l'Eau, le Feu, l'Air, l'Éther, l'Intelligence cosmique, le brahman) et avec des divinités : Brahma, Siva, Visnu, Agni... Dans chacun de ces centres, l'adepte « voit », au fur et à mesure que la Kundalini les ouvre, des figures symboliques (dans l'ordre : un carré, un demi-cercle, un triangle, un « sceau de Salomon », un cercle, etc.) ; il y a également des couleurs (rouge, orange, bleu, or, etc.) et, sur les pétales des lotus épanouis, s'inscrivent des lettres de l'alphabet sanskrit.
    Il s'agit donc là de tout autre chose que d'une simple présentation de l'influx nerveux, en liaison avec la moelle épinière et les plexus. Le yoga, répétons-le, ressemble à l'alchimie : comme cette dernière, il use de symboles empruntés aux réalités observables et exécute des opérations ressemblant à celles que pratique le profane, mais il en transpose la signification, puisqu'il les situe en dehors du monde des sens ; c'est à ce prix seulement que l'individu pourra prétendre être effectivement transformé, et de façon si radicale qu'il échappera définitivement aux conditions de l'existence phénoménale.

Jean Varenne, extrait de l'article Yoga écrit pour l'Encyclopédie Universalis
Deux représentations archétypiques de l’énergie de la kundalini
Gouache sur papier - Uttar Pradesh, Inde, 17è siècle env
A gauche, le serpent lové de la kundalini.
A droite, le visage du tantrika couronné d'un lotus éclos autour du « trou de Brahman ».
(Détails d'un thangka photographié à l'exposition Corps subtils, présentée au LaM de Villeneuve-d'Ascq en 2013)