Albrecht Dürer, Le Christ mort, 1505, fusain sur papier, 17.1 x 23.5 cm


Andrea Mantegna, Etude pour une " Lamentation sur le Christ mort"
vers 1460, encre sur papier, 15.1 x 10 cm
Andrea Mantegna, Three studies for a dead Christ, the body lying on the ground, 1455-1465, encre sur papier, 12.2 x 8.8 cm

Andrea Mantegna, A man lying on a stone slab, his body supported on his left elbow, with drapery covering his lower body
1475-1485 (circa), encre et traces de fusain sur papier, 20.3 x 13.9 cm

Ce dessin de Mantegna, bien qu'il ne constitue probablement pas une étude pour la Lamentation, en offre un pendant intéressant.
Tandis que dans la lamentation , le corps figé s'identifie/se confond/ se rapproche à la surface froide du marbre sur lequel elle repose,
la figure vivante semble ici chercher à s'extraire de la surface

notamment l'énergie que la figure semble solliciter pour se redresser

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Ci dessus, en partant de la gauche, deux études rzalises par Mantegana
le troisième dessin

p. 2464, note du 10,8 de l'évangile d'après Matthieu, p.2464

Le Nouveau Testament voit la mort comme un sommeil, d'où l'utilisation des verbes egeiromai, «(se) réveiller», ou anistèmai, «se lever», pour indiquer le retour à la vie. Anastasis, habituellement traduit par «résurrection», suggère l'idée de surgissement, de redressement.

Ainsi en Jean 5,44, le Christ peut dire :

Pas un ne me rejoint si le Père qui m'a envoyé ne l'a poussé vers moi, et moi, au dernier jour, je le relève.

Ou qu'on peut dire de Jésus, en Marc 16,9 :

Relevé le premier jour de la semaine, il se montra d'abord à Marie de Magdalena, etc. 



La résurrection a à voir, étymologiquement, avec l'action de "se relever".
Mais avant cela, le corps du Christ est étendu dans son tombeau, dieu devenu un gisant comme un autre.
Situation paradoxale : celle du verbe incarné rendu à la terre, ramené à sa simple qualité organique, à sa matérialité charnelle, assumant (pour un temps) le poids et la finitude de son corps.
le corps du christ mort, ramené à sa simple matérialité organique, assumant son poids de chair

(Ce corps mort est-il alors, dans le tombeau, durant ces quelques jours qui séparent la crucifixion de la résurrection, dépouillé de son caractère divin ?
Qualité divine que l'âme de Jésus, descendue pendant ce temps aux limbes, assumerait à elle seule?
L'âme de Jésus, descendue pendant ce temps aux limbes, assumerait-elle à seule le caractère divin?
Ou peut-être que la question n'a pas lieu d'être, car le corps s'est peut-être "échappé" du tombeau dès lors qu'il n'y avait plus d'observateur humain pour l'y retenir.
On pourrait alors considérer que c'est notre regard, face au tableau, qui l'y retient momentanément.)

Quelques peintres ont donné une image de ce corps mort : la plus emblématique étant sans doute la peinture de Mantegna.
Livré isolé, entièrement vulnérable, il ne dispose plus ici de l'entourage humain qui lui assurait encore un certain "maintien" dans les scènes de déposition.
( mais dans le tableau de mantegna, marie et jean sont encore présents, mais relégués à la bordure/périphérie
sans instaurer de contact physique avec la dépouille)

Le raccourci spectaculaire employé par Mantegna (que reprendra plus d'un siècle plus tard Carrache) "dramatise" la scène : il induit une grande proximité du regardeur avec la dépouille, celui-ci se trouvant comme agenouillé au pied du Christ.
Le cadrage serré donne la sensation d'un corps "contenu" dans le tableau comme il peut l'être dans un tombeau.
Le tableau devient la boîte dépositaire et contenant du corps


rapprt d'équivalence entre le plan du tableau et le plan sur lequel repose le corps du Christ (tableau et table ont une origine commune, les 2 se rejoignant dans ce qui peut tre considéré ici comme une tablette votive)
froideur clinique du corps, à l'image de la surface du marbre sur lequel il repose

Autre version célèbre,
Dans un rapport mimétique au volume confiné asphyxiant de la tombe, le tableau allongé d'Holbein donne une vue latérale du gisant qui s'étire ici de tout son long (à l'inverse de la version de Mantegna, qui en proposait une vision "condensée"). Cette horizontalité, commune à nombre de déplorations et de mises au tombeau 1, est ici poussée à l'extrême : aucun "appel" ne vient du haut, aucune "ouverture" vers le divin.
Ajoutons à cela que le peintre n'épargne en rien le corps du Christ, représenté avec une grande crudité, ramené avec violence à sa réalité de cadavre putrescible sur lequel le temps commence déjà son œuvre (si bien qu'à la vue d'un tel tableau, la résurrection de ce corps puisse paraître quelque peu improbable).
Ce passage du format dit "figure" au format dit "paysage" peut être vu comme un "retour au sol".
(par contraste avec les représentations usuelles des épisodes précédent et suivant, à savoir ceux de la crucifixion et de la résurrection, généralement travaillés par une tension verticale entre le terrestre et le céleste, tantôt le crucifié s'affaissant ou s'échouant de la croix, tantôt s'élevant vers les cieux).




Andrea Mantegna, La Lamentation sur le Christ mort, 1470-74, tempera sur toile, 68 x 81 cm


Annibale Carrache, Le Christ mort, 1583-85, huile sur toile, 71 x 89 cm


Hans Holbein le Jeune, Le Christ mort, 1522, huile et tempera sur panneau de bois, 30,5 x 200 cm





Hendrick Goltzius, Adonis mourant, 1609, huile sur toile, 76.5 cm x 76.5 cm

Goltzius utilisera, pour représenter la mort d'Adonis, une mise en scène très proche de celle mise au point par Mantegna pour figurer le Christ mort. (Il adoptera toutefois un format carré et pivotera sa toile de 45 degrés, ce qui lui permettra de cadrer de manière encore plus resserrée la silhouette du corps étendu.)

Sur la pointe supérieure du tableau, on distingue au loin Aphrodite sur son char, qui aperçoit depuis les nuées le corps d'Adonis. Rendue à ses côtés, la déesse appliquera un nectar à l'endroit où le filet de sang qui s'échappe de la blessure mortelle de son amant rejoint la terre : de là naîtra la fleur d'anémone1, déjà visible sur le tableau - le rouge de la flaque de sang ayant comme "migré" vers les pétales2 (ce même rouge qui se retrouve dans la fine cordelette qui ceint la poitrine du blessé). On peut reconnaître ici, transposée dans un contexte mythologique, une référence au sang versé par le Christ tout comme au miracle de sa résurrection.
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1 voir Ovide, Les Métamorphoses, livre X, 717-739
2 voir Guillaume Cassegrain, La coulure, p.174-175, éd. Hazan, 2015